Discours du Président Juncker et du Négociateur en chef de la Commission européenne Barnier sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne lors de la session plénière du Parlement européen
Discours du Président Juncker
Bonjour, Buon giorno, Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Je vous remercie de votre invitation. C’est toujours un plaisir pour moi de pouvoir m’adresser à vous – de parler devant le Parlement et de parler avec le Parlement.
Au cours des cinq dernières années, la Commission européenne a toujours pu compter sur la clairvoyance, la coopération et le soutien de votre Assemblée.
Cela vaut également pour le travail que nous avons accompli ensemble sur la question du retrait du Royaume-Uni. Et cette Assemblée reste ouverte et elle reste au travail.
Michel Barnier et moi-même, nous avons déjeuné, lundi, avec le Premier ministre Johnson.
Vous ne serez pas surpris d’apprendre que le Premier ministre nous a dit que le Royaume-Uni continue de vouloir un accord. Mais aussi, qu’en tout état de cause, il, le Royaume-Uni, quittera l’Union européenne le 31 octobre, avec ou sans accord. Nihil novum sub sole.
Cela veut dire que le risque d’un ‘no deal’ reste très réel.
Ce sera peut-être le choix du gouvernement du Royaume-Uni. Mais ce ne sera jamais le choix de l’Union européenne.
C’est pourquoi je préfère me concentrer sur ce que nous pouvons faire pour parvenir à un accord. Accord que je crois toujours souhaitable et que je crois toujours possible.
Vous ne serez pas surpris non plus d’apprendre que la question principale est celle du filet de sécurité, le ‘back stop’. Tout le monde en a entendu parler, mais tout le monde ne se souvient pas des raisons pour lesquelles il a été agrée entre les 27 et le gouvernement du Royaume-Uni. Le filet de sécurité, le ‘back stop’, est une solution opérationnelle à un problème pratique – le problème causé par le Brexit pour l’île d’Irlande. Problème d’ailleurs qui ne se poserait pas si le gouvernement du Royaume-Uni n’avait pas décidé de quitter l’Union européenne.
Le ‘back stop’ vise trois objectifs : éviter une frontière physique sur l’île d’Irlande ; il vise à préserver l’intégrité du marché unique et, surtout, de la place de l’Irlande dans ce marché ; et le ‘back stop’ vise à protéger la coopération Nord-Sud et « l’économie insulaire », ‘the all-Island Economy’ – des éléments essentiels pour la paix et la stabilité en Irlande consacrés dans l’Accord du Vendredi Saint.
J’ai dit au Premier ministre Johnson que je ne nourris aucun attachement émotionnel à l’égard du filet de sécurité. Mais j’ai clairement indiqué que je reste profondément attaché aux objectifs qu’il sert.
C’est pourquoi j’ai invité le Premier ministre britannique à faire des propositions concrètes, opérationnelles et par écrit sur les voies alternatives qui nous permettraient d’atteindre ces objectifs. Tant que de telles propositions ne seront pas présentées, je ne pourrais pas vous dire, en vous regardant droit dans les yeux, que de réels progrès ont été réalisés.
Mais ce que je peux dire, prenant le contrepied de beaucoup d’articles notamment dans la presse britannique – je peux vous dire que les entretiens que nous avons eu furent amicaux, constructifs et en partie positifs.
La Commission, elle est prête à travailler tous les jours, du matin au soir pour trouver des solutions aux niveaux technique et politique. Je ne suis pas sûr que nous réussirons. Il nous reste très peu de temps. Mais je suis sûr que nous devons essayer.
J’ai demandé au Premier ministre britannique de préciser les arrangements alternatifs qu’il pourrait envisager et j’ai proposé, comment dire, de politiser – au sens noble du terme – les négociations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, en chargeant mon ami Michel Barnier et le Premier ministre britannique et le ministre compétent pour le Brexit de prendre en main eux-mêmes les négociations pour qu’elles ne restent pas à un seul niveau technique.
En juillet 2016, les 27 ont convenu que ce serait une erreur de concentrer toute notre énergie sur le Brexit. Nous nous sommes mis d’accord pour forger une Union plus forte à 27, en nous concentrant sur les moyens d’améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens.
Deux mois plus tard, j’ai pris la parole devant ce Parlement pour prononcer mon discours sur l’état de l’Union et présenter mes idées et propositions pour l’avenir. Ce discours – chose exceptionnelle – a été salué par tous les dirigeants de l’Union européenne réunis à Bratislava et a inspiré le Programme des dirigeants.
We – that means the 27 members of the European Union – have spent two and a half years negotiating with the UK, looking for ways to organise our divorce. During this time, the European Union has shown great unity of purpose, great solidarity with the Member States most affected. This unity is our most precious resource and our greatest asset. It will continue to guide me over the next weeks and I am sure it will continue to guide this House also in the future.
Thank you for listening.
Discours du Négociateur en chef Barnier
Merci, Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
En complément de ce que vient de dire le Président Juncker, je voudrais revenir sur les deux points clefs de nos discussions actuelles avec les Britanniques : la question de l’Irlande et de l’Irlande du Nord, et celle de la relation future, qui est au moins aussi importante puisqu’il faudra reconstruire, d’une autre manière, un partenariat avec ce grand pays ami, allié et voisin que restera le Royaume-Uni.
La demande fondamentale du gouvernement de M. Johnson est la suppression du back stop, ou à tout le moins son remplacement.
Vous le savez, le Royaume-Uni et l’Union européenne se sont mis d’accord en novembre 2018, il y a presque un an de cela, sur ce back stop ; il a été agréé par les 28 chefs d’Etat et de gouvernement, et a reçu l’appui très fort de votre Parlement.
Pourquoi ce sujet est-il aussi fondamental pour nous tous ?
Simplement, et gravement, parce que c’est en Irlande que le Brexit crée le plus de problèmes, c’est en Irlande que le Brexit comporte le plus de risques.
C’est le seul endroit où le Royaume-Uni a une frontière terrestre avec l’Union européenne. Et il existe une situation politique spécifique, liée à une histoire souvent tragique, situation spécifique aujourd’hui avec le Good Friday Agreement dont le Royaume-Uni et l’Irlande sont les garants.
La raison de notre insistance sur ce point n’est pas idéologique, elle ne l’a jamais été. Elle est totalement pragmatique. Il s’agit, à travers le back stop, d’avoir un filet de sécurité, une sorte d’assurance qui nous permette de préserver en toute circonstance trois exigences :
- Nous ne voulons pas du retour d’une frontière physiquesur l’île d’Irlande. Nous voulons protéger le Good Friday Agreement dans toutes ses dimensions.
- Nous devons préserver l’intégrité du marché unique.
- Nous voulons maintenir la « all-Island Economy» et la coopération Nord-Sud prévues dans le Good Friday Agreement. Notre exercice de mapping fait avec les autorités britanniques montre d’ailleurs combien cette coopération Nord-Sud est encadrée par le droit, soutenue par les politiques et par les budgets européens depuis le début.
Le nouveau gouvernement du Royaume-Uni nous a donc, et encore ce lundi à Luxembourg, expliqué les dispositions du back stop qu’il n’aime pas.
Cela ne suffit pas de nous expliquer pourquoi il faudrait supprimer le back stop.
Nous avons besoin de solutions juridiquement opérationnelles dans l’accord de retrait, pour répondre précisément à chacun des problèmes, pour prévenir chacun des risques que crée le Brexit. Et c’est sur ces objectifs que nous nous étions mis d’accord avec le gouvernement de Theresa May.
Juste un exemple concret : tout animal vivant, tout aliment qui entre en Irlande du Nord en provenance de Grande-Bretagne entre non seulement en Irlande mais aussi sur le marché polonais, luxembourgeois, allemand ou danois, mécaniquement, immédiatement, et nous devons exercer un contrôle pour protéger les consommateurs, préserver la sécurité alimentaire, prévenir tout risque de maladie animale. Et c’est l’intérêt aussi des citoyens et des consommateurs d’Irlande du Nord, aussi bien que des consommateurs du reste du Royaume-Uni.
Derrière ce mot de back stop, il y a donc des garanties très concrètes, dont nous avons besoin, et dont tous les citoyens sur l’île d’Irlande ont besoin :
- Pour la paix et la stabilité;
- Pour la vie et la relation économique quotidiennessur l’île ;
- Et naturellement, pour la santé des consommateurs des 27, la sécurité des produits, la protection des budgets nationaux, ce qui exige d’avoir des contrôles aux limites extérieures de notre marché intérieur.
Nous entendons aussi les questions et remarques du Premier ministre britannique sur le caractère démocratique, ou non-démocratique, du back stop.
C’est évidemment au gouvernement britannique lui-même de s’assurer du soutien des institutions nord-irlandaises sur l’accord de retrait qu’il signerait au nom de tout le Royaume-Uni.
Nous avons déjà prévu plusieurs dispositions dans l’accord de retrait, notamment sur l’implication de ces institutions et des différents comités dans la mise en œuvre du back stop si un jour il devait être activé.
Sur cette question comme sur les autres, je redis après le Président Juncker que nous restons disponibles pour écouter toute proposition britannique, y travailler jour et nuit, dès l’instant où cette proposition apporterait des progrès.
L’autre sujet clef à ce stade est celui de notre ambition commune pour la future relation et de ce partenariat stratégique que nous devons construire ou reconstruire avec le Royaume-Uni après le Brexit.
La déclaration politique agréée avec le Royaume-Uni en novembre dernier ouvre la voie à un partenariat très large, en matière de coopération économique, de coopérations sectorielles, de coopération judiciaire et policière, de coopération en matière de défense et de politique étrangère.
Dans son volet économique, ce partenariat prend comme point de départ un accord de libre-échange, mais il laisse ouverte la possibilité de davantage d’ambition, s’il y a une volonté commune, et nous avons cette volonté d’être le plus ambitieux possible, par exemple à travers une union douanière.
Cette relation économique doit évidemment être accompagnée par des garanties de level playing field.
Là aussi, Mesdames et Messieurs les députés, derrière une expression technique, « level playing field », il y a des réalités humaines, sociales, territoriales. Et un choix de société que le Royaume-Uni devra faire sur l’équilibre nécessaire entre le bon niveau de régulation et le marché économique.
Or, le gouvernement britannique actuel souhaite revenir sur les engagements pris par Theresa May dans ce domaine du level playing field.
Avec un grand pays si proche, important, comme le Royaume-Uni, qui réalise la moitié de son commerce avec nous, un partenariat économique ambitieux exige un socle de règles du jeu communes.
Dès lors, le niveau d’ambition d’un futur accord de libre-échange que nous devrons négocier en toutes hypothèses et conclure avec le Royaume-Uni dépendra clairement des garanties que nous aurons ensemble, mis sur le papier en matière sociale, environnementale, de concurrence ou d’aide d’Etat.
Mesdames et Messieurs les députés,
Je vous ai parlé des deux sujets qui sont actuellement en discussion avec le gouvernement de Boris Johnson.
Cela dit, ne perdons pas la vue d’ensemble.
Je veux rappeler simplement pourquoi nous avons voulu depuis le départ un retrait ordonné du Royaume-Uni, qui vaut beaucoup mieux qu’un no deal, dont je recommande que chacun ne sous-estime pas les conséquences.
- Nous voulons cet accord pour protéger les droits des 4,5 millions de citoyens européens au Royaume-Uni et de Britanniques dans les 27 Etats membres.
- Nous voulons sécuriser l’avenir pour tous les porteurs de projets qui bénéficient de fonds européens, sur les territoires. Voilà pourquoi nous avons décidé avec le Royaume-Uni que tout ce qui a été décidé à 28 soit bien payé, jusqu’au bout, à 28.
- Nous voulons garantir la paix et la stabilité en Irlande.
- Et au bout de la route, nous voulons créer les conditions de confiance nécessaires pour bâtir notre relation future, telle qu’esquissée dans la déclaration politique.
Si le Royaume-Uni sort sans accord, toutes ces questions ne disparaîtront pas. Nous devrons les régler en toute hypothèse, préalablement à un futur partenariat avec le Royaume-Uni.
Les conséquences du Brexit ne sont pas théoriques.
Elles sont humaines et sociales, financières et budgétaires, juridiques et techniques. Elles sont considérables, comme votre Parlement l’a toujours souligné, et le rappelle à nouveau dans votre résolution.
Plus de trois ans après le referendum britannique, il ne s’agit certainement pas de faire semblant de négocier.
Il est de notre responsabilité de poursuivre ce processus avec sincérité et détermination.
Nous continuerons de le faire en concertation permanente, en toute transparence avec les 27 gouvernements au nom duquel nous négocions, avec votre Brexit steering group, et avec l’ensemble des groupes et des commissions de votre Parlement
Cela sera toujours notre attitude dans cette extraordinaire et complexe négociation.
Je vous remercie.
SPEECH/19/5610